Dominique de Villepin était, mercredi matin, l’invité de Christophe Barbier sur LCI.
Situation en Lybie, manifestations en Syrie, débat sur la laïcité en France, règlements de compte au sein de l’UMP, montée du Front National, candidature à l’élection présidentielle: les principaux points de son intervention.
Sur la réunion à Londres du « groupe de contacts » sur la Lybie
Elle a marqué la détermination de la communauté internationale, mais elle n’a pas pour autant répondu à toutes les questions. Quelle est la stratégie de cette communauté? Jusqu’où faut-il aller dans le soutien aux insurgés? Comment faut-il contrôler l’opération? Est-ce que l’OTAN est véritablement le mieux placé, sachant que c’est une organisation occidentale? L’Occident et le Moyen-Orient, nous le savons, c’est un mélange qui peut être détonnant.
Sur l’initiative militaire de la France
Grâce à l’initiative de la France, de Nicolas Sarkozy, de la communauté internationale parce que nous n’avons pas agi seuls, nous avons pu enrayer un processus, mais nous voyons aujourd’hui les insurgés patiner. Il faut donc, à côté du militaire qui doit rester un élément de référence, que le politique, le diplomatique prenne le relai pour multiplier les pressions sur le pouvoir lybien.
Sur la possibilité d’un départ négocié du Colonel Kadhafi
C’est un élément de la négociation, mais nous devons en tout cas maintenir l’arsenal: sanctions économiques et financières, gel des avoirs et procédure devant la Cour Pénale Internationale. Parallèlement, il faut qu’il y ait un dialogue. Il y a des canaux qui permettent de nourrir ce dialogue. Oui, il faut continuer à parler.
Sur l’éventualité d’une immunité accordée au Colonel Kadhafi
C’est un sujet difficile. Donner l’immunité, c’est accepter qu’on puisse commettre des atrocités et ne jamais les payer. Ce n’est pas un bon exemple sur la scène internationale.
Sur la possibilité d’armer les rebelles lybiens
Barack Obama a trouvé, je crois, un bon équilibre: responsabilité vis-à-vis de ce qui se passe en Lybie, responsabilité de protéger les populations civiles, mais responsabilité limitée. Veillons à ne pas fournir des types d’armes qui se retrouveront dans les mains de terroristes au Niger, au Mali ou dans d’autres régions. Il y a un risque que nous avons négligé qui est celui d’une déstabilisation de la sous-région. Il y a des pays fragiles autour: le Tchad, le Niger, le Mali, le Soudan qui a connu sa partition récemment. Donc veillons à ne pas surarmer cette région qui pourrait en payer le prix fort.
Sur les manifestations en Syrie
La règle doit être la même pour tous les Etats du monde arabe. C’est vrai pour la Syrie, c’est vrai pour le Yémen. Chaque dirigeant doit savoir qu’il ne peut pas tirer sur son peuple. Chaque dirigeant doit être encouragé à répondre. C’est le cas aujourd’hui de la Syrie: Bachar El Assad devrait intervenir pour annoncer la levée de l’état d’urgence. Il faut donc, oui, une règle claire, des résolutions des Nations Unies, des envoyés de l’Europe, de la communauté internationale pour veiller à ce que le processus avance dans le bon sens.
Sur le débat sur la laïcité
(Les responsables religieux français) disent deux choses. La première: « Ce n’est pas le moment ». Et c’est vrai que nous sommes dans un contexte de très grande tension et nous sommes à la veille d’une période électorale. Et deuxième message qui lui aussi est important: « Non seulement ce n’est pas le bon moment, mais en plus ce n’est pas à un parti politique seul de mener le débat. » Donc, les esprits, je crois, ne sont pas mûrs.
Et par ailleurs, vous dites: « c’est le grand sujet et c’est l’occasion de débattre ». Je ne le crois pas. Les grandes questions, ce sont les questions quotidiennes des Français: le chômage, la sécurité, le pouvoir d’achat. Nous connaissons les réponses qui sont des réponses techniques à apporter aux questions de laïcité et qui ne sont pas aujourd’hui le centre des préoccupations des Français.
Sur l’idée émise émise par François Baroin d’une résolution parlementaire sur la laïcité
C’est une porte de sortie. Ca permet de sauver la face des dirigeants de l’UMP.
Sur l’incident Copé-Fillon au lendemain des cantonales
Il faut veiller à ce que la dérive ne s’accentue pas. Dans notre système institutionnel, il doit y avoir un chef du gouvernement et un chef de la majorité et c’est le Premier ministre. Le Premier ministre a été affaibli dès le début du quinquennat et aujourd’hui, nous voyons bien qu’il ne tient pas les rênes de la majorité. IL en est réduit à la portion congrue: il est une sorte de croupion dans le système majoritaire et il ne peut s’exprimer que par des petites phrases. Cela le marginalise, mais cela lui donne aussi une capacité de déstabilisation de l’ensemble du système. Donc veillons à rétablir le Premier ministre dans son rôle, dans sa responsabilité: assumer véritablement au quotidien un certain nombre de décisions et sortir de cette équation où c’est l’Elysée qui dirige la majorité en partenariat avec le patron de l’UMP.
En politique, surtout dans la même famille politique, il est conseillé d’essayer de régler ses comptes de façon discrète: ce n’est pas à mettre sur la place publique. Donc je ne suis pas sûr que la meilleure façon, ce soit d’en parler. Ceci dit, l’explication a eu lieu. Souhaitons que le système, l’ensemble du système institutionnel puisse fonctionner d’une meilleure façon, mais nous n’en avons pas tiré les leçons: tant que les choses se décideront à l’Elysée, eh bien nous connaîtrons ce genre de turbulences.
Sur la phrase de Daniel Garrigue, selon qui « l’UMP est morte »
Je me garderai de vendre la peau de l’ours. Nous avons besoin de partis politiques forts. Aujourd’hui, ce que nous voyons, c’est la crise des grands partis. Il y a à la fois une crise de la stratégie politique des grands partis (nous le voyons avec la division de l’UMP sur les thèmes identitaires: immigration, sécurité), mais nous voyons également la même crise se dessiner au Parti Socialiste (trop d’ambitions, trop de rivalités personnelles, et puis un éloignement des Français). Nous voyons finalement deux types d’organisations aujourd’hui: des partis qui n’ont plus de militants, les grands partis qui ont trop d’argent, beaucoup trop d’argent et qui finalement gèrent des intérêts, gèrent des clientèles, et puis des mouvements plus jeunes, plus récents (c’est le cas de République Solidaire) qui, eux, sont dotés de véritables sympathisants mais qui surtout défendent l’intérêt général. Il y a donc aujourd’hui, du côté des grands partis, à tirer des leçons.
Sur la possibilité du départ du Parti Radical de l’UMP
Je souhaite que les Radicaux prennent leur responsabilité dans le jeu politique, mais c’est à eux, je crois, à prendre cette décision. Ce n’est pas, je crois, le sens du vent ni le sens des idées qui sont ceux des Radicaux aujourd’hui. Ils doivent prendre leurs responsabilités dans une période difficile, à partir des convictions qui sont les leurs. Et sur le thèmes identitaires, ils ont l’histoire avec eux, ils ont une expérience. Donc on a besoin effectivement que chaque famille politique prenne ses responsabilité et les Radicaux, c’est une histoire, c’est un engagement, ce sont des valeurs.
Sur Jean-Louis Borloo
Je l’aime bien. Il a été un très bon ministre. C’est un homme qui sait faire, c’est un homme qui privilégie l’action sur les jeux et les combines. Donc oui, il a un rôle à jouer.
Sur la présence du Front National au second tour de la présidentielle
Ce qui peut qualifier Marine Le Pen, c’est l’absence d’alternative politique offerte aux Français. Donc nous avons une responsabilité. Nous voyons bien que ce
n’est pas le Parti Socialiste, avec de l’ajustement budgétaire et fiscal, ou l’UMP, avec des faux débats, qui vont occuper cet espace d’offre politique. Donc notre responsabilité à nous, c’est d’offrir une alternative. Le casting, le choix des hommes, c’est quelque chose qui viendra derrière, mais la nature a horreur du vide et je n’ai aucun doute sur le fait que la sélection naturelle s’opèrera.
La division en politique, c’est quand le combat se réduit à des combats de personnes. Moi quand je mets en avant le revenu citoyen, quand je mets en avant la cogestion à la française en donnant plus de pouvoir aux salariés dans l’entreprise, quand je préconise un service citoyen universel, ouvert à tous, quel que soit l’âge, eh bien nous sommes véritablement dans quelque chose de nouveau. Nous avons besoin non pas d’ajuster notre politique. Nous avons besoin de refonder la politique. C’est donc un travail énorme que nous avons à faire sur nous-mêmes.
Sur sa candidature à l’élection présidentielle
Je vous répondrai dans quelques mois, mais manifestement, nous voulons être prêts et nous jouerons tout notre rôle dans cette bataille.