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Le précurseur (9/9): Dominique de Villepin, dans Le requin et la mouette

Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.

Neuvième et dernier épisode ce dimanche 29 août, sur le thème du destin français.

Extrait du requin et la mouette, par Dominique de Villepin

« Et la France, dans tout cela? Qu’en est-il de la liberté, de l’égalité, de la fraternité?

(…) En France, l’individu est d’autant plus fort qu’il accepte de renoncer à une partie de sa force, d’autant plus raisonnable qu’il met sa raison au service de l’intérêt général et de la République. Mais aujourd’hui cet idéal est à l’épreuve, notre volonté de vivre ensemble en question. Comment , dans ces conditions, garantir notre pacte national?

(…) L’histoire nous montre que la France n’est elle-même que lancée à la poursuite d’un idéal. De ca passé qu’il vénère, notre pays a tiré une conscience profonde de sa singularité. La France ne s’aime qu’à la tâche, assignée dans le concert des nations à un devoir particulier.

(…) Aujourd’hui cette ambition passe par la défense d’une certaine idée: comment servir l’Europe et le monde alors qu’il aspire à une même communauté de destin et à la reconnaissance des identités de chacun? L’enjeu est majeur: il s’agit de conjuguer unité et diversité à l’échelle de notre continent, de rassembler les énergies et les talents français pour réussir l’élaboration d’un projet européen unique. Mais il ne s’agit pas du seul avenir de l’Europe: c’est dans la construction d’une véritable démocratie mondiale que notre pays doit s’engager avec la volonté, la générosité et la détermination dont il a toujours su faire preuve aux grand rendez-vous de l’Histoire.

En nous fixant ce nouvel horizon, nous ne saurions oublier notre devoir de fidélité. Fidélité à notre quête d’idéal, à notre vocation universelle, et aussi à notre héritage.

(…) La synthèse française parvient à faire vivre pareillement les libertés, la solidarité et l’égalité, sans que l’attachement à l’une conduise à renoncer à l’autre.

(…) En retrouvant le souffle premier de ces trois aspirations nous pourrons répondre aux problèmes d’aujourd’hui: oui, il faut retrouver l’élan initial de la liberté, si nous ne voulons pas étouffer les forces vives et les talents de notre pays; non, nous n’entendons pas renoncer à la solidarité qui fonde l’équilibre de la société dans laquelle nous souhaitons vivre; oui, il faut le dire et le prouver avec plus de force que jamais auparavant: les enfants de la République ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. (…) Revenir à une solidarité plus volontaire et mieux partagée, assumée par toute une société et non plus seulement par l’Etat; revenir enfin au sens profond de l’égalité qui est le mérite.

(…) Pour renforcer la volonté de vivre ensemble et le sentiment d’unité, il est temps de se réapproprier le fondement de notre nation. Le pacte républicain avec ses principes d’égalité des chances, de tolérance, d’autorité de l’Etat et de laïcité.

(…) Si elle veut peser de tout son poids sur la poursuite de l’aventure continentale, la France dispose d’une décennie pour accomplir sa mue et réussir les réformes nécessaires, sans lesquelles la « grande nation » solidaire, fraternelle ne serait plus qu’un composite d’égoïsmes, rongé par les communautarismes, un pays abandonné à une universelle solitude contraire à son histoire, à ses valeurs et à sa passion du monde. « Etre Français, nous rappelle Gombrowicz, c’est précisément prendre en considération autre chose que la France. »

Source: Dominique de Villepin – « Le requin et la mouette », Albin Michel, 2004, pp.246, 249, 250, 251, 252, 253

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